Chute, no fall

Chuter n'est pas tomber !

Frère humain qui, comme tout un chacun, est assujetti à deux choses :
1/  la pesanteur
2/  et votre mètre 62 ( là, je parle pour moi …pour vous, c’est pire ! )
…vous serez d’accord avec ce fait ; dans la vraie vie, le risque est grand : le sol se dérobe, et vous voilà, non pas les quatre fers en l’air, mais le poignet ou l’épaule brisée. Eh oui, vous êtes tombés !
Et pourquoi tant de douleur ? Tout simplement car, du fond des âges, notre chère espèce humaine, dans sa grande mansuétude, à développer des postures de sécurité "automatiques" afin d'éviter le fracas de cette lourde tête sur le bitume, commande centrale oblige !

Sur le tatami, notre mission est donc grande : améliorer l’espèce.
Considérons l’espace vu du Soi : devant, le vide ; derrière, le vide. Eh oui, nous sommes des êtres verticaux !
Alors que pointe l’accélération ultime du déséquilibre, se pencher en tombant tête la première devant soi est une gageure.
Soumettre son corps à la non portance de ce vide est du ressort de la maltraitance. Osons le mot…
... et quittons ce contexte primal "debout-vautré", tout bras devant; cherchons également à apprivoiser cette crainte ancestrale de la chute.

Prenons l'ascenseur, le doigt sur le bouton RDC. En japonais, on dit passer de Tachi waza à Suwari waza.
Le corps coulisse sur son axe postural, aligné, du haut vers le bas, le regard posté au loin : une mobilisation détendue sur un plan vertical.
Arrivé près du sol, l’enroulement de l’ukémi (Nage waza) s’accomplit sur un plan horizontal en avant (mae) ou en arrière (ushiro).
Lors d'une pratique avec immobilisation (Katame waza), le principe est identique, seul l’allongement s'installe en lieu et place de l’enroulement. Il suffit de s'imaginer Hiji Kime Osae pour en être convaincu.
Parfois, le sol où s'exprime la spirale du corps devient autre : exemple avec la non commode ukémi de Koshi nage (flanc de Tori) ou avec la non moins commode et peu connue Ganseki otoshi (ceinture scapulaire de Tori). Mais toujours pas de saut à l'élastique pour autant !
Résumons :
Tomber indique un corps dilaté, sorti de son polygone de sustentation, penché dans le vide, en perdition.
Beaucoup de fracas et beaucoup de bruit pour ....beaucoup de douleur !
En aïkido, Chuter indique un corps tonique et présent à la dynamique de projection avec une trajectoire combinée verticale / horizontale.
Beaucoup de détente et peu de bruit pour …un retour en tachi waza.

Pierre qui roule n'amasse pas mousse !

Tomber propose un non retour à la verticalité ...avant quelques secondes, voire plusieurs minutes. Sidération et choc créent une vraie pause.
En aïkido, Chuter propose une gestion de type développement durable : l'énergie entretenue lors de l'enroulement permet au corps de se relever par le même chemin ; cette fois-ci, du bas vers le haut.

Il fût un temps lointain où Aïté s'appelait Uké, en référence à l'ukémi : c'était quelque peu réduire sa fonction. Néanmoins, chuter justement est tout simplement du grand art : synchronicité avec le temps du mouvement et avec le point d'application de la projection, sans anticipation ou retrait de protection, juste là...
...et la progression en aïkido passe sans transiger par cette expertise d'Aïté.

Rappelons-nous les petites mae ukemi de Tamura shihan d’une si grande aisance, tout est là.